Le lendemain matin , le soleil se levait à peine sur le domaine de l’Alpha suprême . L’aile Est dormait encore , mais dans la cour intérieure , le bruit sec d’une corde frappant la terre rompait le silence .
Herman tenait un chrono dans une main , les bras croisés , son regard d’acier rivé sur Eléna , essoufflée , les cheveux collés au front, sautant à la corde avec une détermination féroce .
— Trente secondes de pause . Ensuite, on passe aux pompes .
— T’es sérieux… ? souffla-t-elle, les jambes tremblantes .
— Pas une question , gamine .
Elle s’effondra sur les genoux , haletante , mais sans se plaindre .
Ce n’était que la première demi-heure .
Le terrain d’entraînement n’était pas très grand , mais suffisant . Un coin du jardin avait été réaménagé à la demande d’Herman . Pas de gadgets , pas de simulateur . Juste de la terre battue , des poids , une barre de traction artisanale , et un punching-ball suspendu à une branche solide .
— Tu veux pas être la gamine qu’on sauve tout le temps , hein ? dit Herman en s’approchant .
Elle secoua la tête .
— Alors bouge . Pompes , maintenant !
Elle se mit en position , grognant un peu , puis commença à descendre lentement . Ses bras tremblaient , mais elle ne s’arrêtait pas .
Herman comptait à voix basse .
— Un , deux , trois…
— Tu comptes lentement exprès , hein!? avoua-t-elle entre deux respirations .
Il eut un léger rictus.
— C’est pas à moi de m’adapter à ta faiblesse . C’est à toi de t’élever à mon niveau .
Elle grinça des dents , mais termina les vingt pompes . Puis il enchaîna .
Abdos , sprint court . Montées de genoux. Corde à sauter . Squats .
Tout y passait .
Elle tomba dans l’herbe à la fin de la session , le souffle coupé , trempée de sueur .
— Tu m’aimes pas , en fait ! Souffla-t-elle .
Il s’agenouilla à côté d’elle , une gourde à la main .
— Je t’entraîne comme j’aurais entraîné ma propre fille .
Elle tourna les yeux vers lui , surprise .
Il tendit la gourde . Elle but à grandes gorgées puis il s’assit à côté d’elle , croisa les bras .
— T’as pas abandonné . T’as pas pleurniché et t’as pas essayé de tricher . Tu crois que t’es faible , mais tu viens de me prouver l’inverse .
— T’as vu les autres filles de mon âge ? souffla-t-elle. Elles sont fines, belles, gracieuses…
— Toi, t’es solide . Résistante . Et t’as du feu dans les veines . Je préfère ça à toutes les princesses du monde .
Elle se redressa , le regard brillant malgré la fatigue .
— Tu crois que je peux devenir aussi forte que toi ?
Il la fixa un moment.
— Tu peux devenir encore plus forte que moi . Parce que toi , t’as survécu à la peur à dix ans . Moi, il m’en a fallu vingt .
Un silence doux s’installa .
Puis il ajouta :
— Demain matin , six heures . On recommence.
— Tu veux me tuer ou quoi ?
— Si t’étais morte , tu pourrais pas râler .
Elle rit . Un vrai rire , cette fois . Puis elle se leva péniblement .
— Je vais me doucher. Et après… j’ai une surprise pour toi .
— Je déteste les surprises . Dit-il en roulant des yeux .
— Tant mieux , dit-elle avec un sourire espiègle . Ça veut dire que tu peux rien anticiper .
⸻
L’après-midi, Herman était dans sa chambre , en train d’aiguiser un vieux poignard quand on frappa à la porte .
Il ouvrit .
Eléna était là , cheveux séchés , habillée proprement . Derrière son dos, elle cachait quelque chose .
— T’as deux minutes ?
— Une minute trente .
— Parfait .
Elle entra , les yeux brillants . Puis tendit devant elle une boîte faite à la main , emballée grossièrement dans un paquet cadeau noué .
— C’est pour toi .
— Pourquoi ?
— Parce que t’es resté . Parce que t’es venu me chercher . Et parce que tu m’as pas laissée tomber même quand j’étais au fond du trou .
Herman défit le tissu lentement . À l’intérieur , une boîte en bois verni . Simple. Mais gravée à la main .
Sur le couvercle , on distinguait un loup . Et une petite silhouette à ses côtés . Gravés maladroitement , mais avec soin . En-dessous, en lettres irrégulières :
“Ma meute, c’est toi.”
Il ne parla pas .
Elle se dandina sur place , nerveuse .
— Je sais que t’es pas du genre à aimer ce genre de trucs , mais… je voulais juste que t’aies quelque chose à toi . Pas une arme . Pas un souvenir douloureux . Juste un truc qui dit que t’es important pour quelqu’un .
Il referma la boîte . La garda dans ses mains un instant . Puis la posa délicatement sur sa table de chevet .
— Tu veux que je dise merci ? demanda-t-il.
— Non , juste que tu la jettes pas à la poubelle .
— Trop tard . Elle est déjà la chose la plus précieuse que j’ai .
Elle sourit , émue .
— Sérieux ?
Il hocha la tête.
— Sérieux .
Puis, d’une voix plus douce, presque fragile :
— Merci, Eléna .
Elle hocha la tête, heureuse, puis s’éclipsa .
Quand la porte se referma, Herman resta seul dans la pièce. Il s’assit lentement, les yeux sur la boîte .
Et pour la première fois depuis des années , il sentit que quelque chose en lui se réparait . Doucement .
Sans combat , sans rage .
Juste grâce à une gamine qui lui avait offert un bout de son cœur .