chapitre 3

988 Words
La femme revient au bout d’un long moment. Je ne sais pas combien de temps j’ai passé là, à fixer le plateau sans y toucher, à lutter contre la fatigue et le vide. Elle ouvre la porte sans m’adresser un regard. — Debout. C’est l’heure. Je me lève. Le corps encore lourd, la gorge nouée. Chaque pas vers lui est un pas de trop. Mais je ne lui donnerai pas ce plaisir. Je ne veux pas qu’il voie mes failles. Elle me fait traverser un couloir long, feutré, sur moquette grise. Une immense maison, certainement isolée. Chaque fenêtre est condamnée, je le remarque au passage. Il a tout prévu. Des caméras aux coins. Pas un angle mort. Pas un espoir. On arrive devant une double porte en bois sombre. Elle frappe une fois. Une voix se fait entendre, calme, autoritaire. — Entre. Elle ouvre. Me pousse légèrement du bras. Je pénètre dans le bureau de Derek. La pièce est vaste, murs tendus de cuir, bibliothèque imposante, fauteuil en cuir noir, bureau massif. Un feu crépite dans une cheminée moderne. Tout respire l’élégance froide et le contrôle. Derek est là. Assis, parfaitement à l’aise, une coupe de whisky à la main. Il me regarde entrer, un sourire aux lèvres. Je serre les poings. — Assieds-toi, Juliette. Je reste droite. — Je préfère rester debout. Son sourire s’élargit. — Ah… Toujours cette force. C’est délicieux. Mais je préfère quand tu obéis. Assieds-toi. Sa voix est plus ferme. Je sens l’ordre dans chaque syllabe. Chaque fibre de mon corps se tend. Mais je cède. Pour cette fois. Pour observer. Apprendre. Trouver le moment. Je m’assieds lentement face à lui. Il me dévisage longuement, appréciant le moindre de mes gestes. Ce regard me donne envie de hurler. — Tu as mangé ? demande-t-il, faussement concerné. Je ne réponds pas. Il sait. — Non, bien sûr. Têtue comme toujours. Il repose sa coupe, croise les doigts devant lui. — Il va falloir que tu comprennes les règles de cette maison, Juliette. Ce n’est pas une prison au hasard. C’est le seul endroit où tu es en sécurité. De moi… et du reste du monde. Je le fixe, un éclat de haine dans le regard. — Sécurité ? Tu te fous de moi ? Tu m’as enlevée. Violée. Séquestrée. Tu crois que c’est quoi ? de l’amour ? Un éclair traverse son regard. Pas de colère. De désir. — Oui, répond-il, calme. C’est une forme d’amour. Peut-être la seule que je connaisse. Je serre les dents. J’ai envie de le frapper. Mais je reste figée. Le moindre faux geste, ici, peut se payer cher. Il se lève, lentement, contourne le bureau. Sa présence physique est écrasante, comme s’il occupait tout l’espace. Il s’approche de moi, me domine de sa hauteur. — Après tout ce que j'ai vécu accose d'eux, je te mérite largement. Je le défie du regard. — Pourquoi moi ? Il sourit, penche la tête. — Parce que ça a toujours était toi Juliette. Je me redresse. — Je comprend pas . Il rit, doucement, presque sincèrement amusé. — Ça viendras. Il passe une main sur mon épaule nue, glisse lentement le long de mon bras. Un frisson involontaire me traverse. Je déteste cette faiblesse. — Ne joue pas avec moi, Derek. Il s’accroupit devant moi, ses yeux plongés dans les miens. — Je ne joue jamais. Je te prépare. À être mienne. Totalement. Corps. Âme. Volonté. Je recule légèrement. Mais il pose ses mains sur mes genoux, me clouant à ma chaise. — Et plus tu lutteras, plus ce sera long. Plus ce sera… exquis. Je ravale ma salive, le cœur battant. Il se relève, me contourne, pose les mains sur mes épaules, me force à rester assise. — Ce soir, tu dormiras dans ma chambre. Je me fige. — Non. Sa voix devient plus douce. Sournoise. — Si. Il se penche à mon oreille. — Chaque refus a un prix, Juliette. Je peux te briser lentement… ou te faire plier en douceur. C’est toi qui choisis. Je ferme les yeux un instant. Inspirer. Ne pas céder. Pas tout de suite. Il relâche mes épaules, revient s’asseoir face à moi, son regard brûlant. — Tu te poses des questions. Pourquoi toi ? Pourquoi cette obsession ? C’est simple. Il se penche, voix plus grave. — Tu es la seule que je n’ai jamais aimée. La seule qui fait battre ce cœur pourri dans ma poitrine. Et je refuse de te perdre. Je le fixe, dégoûtée. — L’amour n’est pas censé détruire. Il sourit. — Au contraire. Le vrai amour consume. Dévore. Jusqu’à ce qu’il ne reste rien que l’autre. Je détourne le regard. Une part de moi sait qu’il croit à ses propres paroles. C’est ce qui le rend plus dangereux que tout. Il se lève. — La journée est à toi. Tu es libre de circuler dans cette aile. Pas plus loin. Les caméras te surveillent. Pas la peine d’essayer. Il se penche à nouveau. — Ce soir, je viendrai te chercher. Il claque des doigts. La femme revient aussitôt. — Raccompagne-la. Je me lève. Il me saisit soudain par le poignet, son étreinte de fer me fige. — Un conseil, Juliette. Arrête de rêver à l’évasion. Chaque tentative ne fera que renforcer mes chaînes autour de toi. Je retire mon poignet d’un geste brusque. — Je ne serai jamais tienne. Il sourit. — On en reparlera. La femme me ramène à ma chambre. Pas un mot. Je referme la porte derrière moi, m’effondre sur le lit. Mes nerfs à vif. Mon cœur au bord de l’explosion. Je serre les draps entre mes doigts. Fuir. Il faut fuir. Avant qu’il ne me détruise vraiment. J’observe la pièce. Les murs. Le plafond. Les caméras. Cherche la moindre faille. Une idée germe. Folle. Dangereuse. Mais peut-être la seule. Ce soir. Dans sa chambre. Je n’aurai peut-être qu’une chance. Et je la prendrai.
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