Gabrielle
Je rentrai à la maison après mon entretien le cœur plein d’espoir, mais je ne pouvais nier cette appréhension qui me serrait la gorge. Qui était cette famille ? Où était leur mère ? Le père était-il divorcé, ou veuf ? Mais surtout… serais-je retenue ?
Si c’était le cas, j’allais devoir quitter mon appartement pour m’installer chez eux. Et si, après quelques mois à peine, ils décidaient de se séparer de moi ?
Que ferais-je, ayant déjà libéré mon logement ? Je me retrouverais pratiquement à la rue, sans le moindre sou.
Gabrielle, calme-toi, m’intimai-je. Il faudrait déjà qu’on retienne ta candidature. Inutile de mettre la charrue avant les bœufs.
Je réussis à m’endormir avec énormément de peine. Je me levai à l’aube et me mis à nettoyer ma chambre, espérant qu’occuper mon esprit m’aiderait à calmer mon anxiété.
Aux environs de 10 h, mon téléphone se mit à sonner. Je décrochai avec émoi, le cœur soudain trop rapide.
- Bonjour, madame Nyake, c’est madame Cissé. Mon client souhaiterait vous rencontrer à son domicile à 17 h.
- J’y serai, madame.
- Très bien. Je vous envoie son adresse dans un instant.
- Merci… euh, madame, est-ce que vous serez présente à cet entretien ?
- Non, madame. Pour nous, tout est en ordre. Mais la décision finale revient au client.
- Je comprends, dis-je, la gorge un peu serrée. Merci beaucoup.
- Je vous en prie. Bonne chance.
- Merci.
Je mis fin à l’appel, la main légèrement tremblante. Quelques minutes plus tard, je reçus un SMS contenant une adresse et un nom : M. Koffi Christopher.
La famille résidait au quartier Riviera Alabra, un quartier huppé, réservé aux personnes nanties.
Je n’avais pas osé, durant l’entretien d’hier, poser la question du salaire. J’espérais qu’il serait vraiment avantageux, car j’allais devoir quitter mon logement et vivre à leur entière disposition. Mon but était clair : économiser assez pour pouvoir, dans quelques années, voler enfin de mes propres ailes.
Mon futur employeur semblait sans aucun doute riche… mais ne dit-on pas : "riche rime avec chiche" ? J’espérais sincèrement que ce ne serait pas le cas. Je n'avais osé discuter du salaire, mais j'éspérais qu'il me permettrait de faire des économies.
Je repris mon ménage, puis préparai quelque chose à manger. Il se pouvait que je rentre tard, et je n’aurais peut-être plus le courage ni le temps de cuisiner à mon retour.
Aux environs de 15 h, je pris une douche, m’habillai soigneusement, et sortis de la maison, le cœur battant. Tout allait se jouer dans quelques instants...
Je devais reconnaître ma chance : obtenir une proposition de travail moins d’un mois après avoir perdu mon emploi… c’était presque inespéré.
Martin avait essayé de me recontacter après ma libération. Il m’avait même envoyé un message pour me présenter ses excuses. Je n’y comprenais absolument rien. Finalement, j’avais pris la décision de changer de numéro de téléphone. Il était temps de tourner la page, de tout recommencer à zéro, une fois de plus.
Je montai dans le taxi Yango à 15 h 30, et ce dernier démarra aussitôt. Nous roulâmes pendant près de quarante-cinq minutes, puis le véhicule pénétra dans le quartier résidentiel de Riviera Alabra. Je n’y avais jamais mis les pieds, mais j’en avais souvent entendu parler. On disait que c’était un quartier calme, sécurisé, et surtout… réservé à ceux qui avaient les moyens.
Le taxi s’arrêta devant une haute grille en fer forgé. Une allée impeccable menait à une imposante batisse blanche, entourée de jardins taillés au millimètre.
- Nous y sommes, lança le chauffeur.
- Merci, répondis-je en lui tendant des billets pour régler ma note.
Je descendis du taxi et me dirigeai vers la cabine de gardiennage. Je jetai un bref coup d’œil à ma montre : il était exactement 16 h 25. J’avais plus d’une demi-heure d’avance.
- Bonjour monsieur, j’ai rendez-vous avec monsieur Koffi à 17 h.
- Bonjour, veuillez me suivre, s’il vous plaît.
Il m’emboîta le pas, et je le suivis. Nous parcourûmes une longue allée, et, à quelques pas de la maison, il m’indiqua la porte centrale en m’invitant à continuer seule.
Je sentais les battements de mon cœur s’emballer dans ma poitrine. Ayant déjà côtoyé ce type de personnes par le passé, je savais parfaitement de quoi ils étaient capables. Mais d’un autre côté, avais-je vraiment le choix ? J’avais impérativement besoin de cet emploi.
Je sonnai à la porte, et celle-ci s’ouvrit quelques minutes plus tard sur une femme d’une cinquantaine d’années, au regard sévère.
- Madame Nyake ?
- Oui, c’est bien moi.
- Venez. Je suis Chantal, la gouvernante.
Elle me fit entrer, puis me guida sans un mot vers une porte qu’elle ouvrit. Elle donnait sur un salon luxueux, spacieux, où tout semblait à sa place comme dans une vitrine. Elle m’invita à m’asseoir sur l’un des fauteuils.
- Vous êtes un peu en avance. Monsieur Koffi et les enfants ne vont pas tarder.
- D’accord, répondis-je en serrant nerveusement mes mains sur mes genoux.
- Avez-vous besoin de quelque chose ? Un verre d’eau ? Un café ?
- Non, merci, répondis-je.
J’avais la gorge tellement nouée que je n’aurais pas pu avaler quoi que ce soit, même si j’en avais eu envie.
Je restai assise pendant de longues minutes. L’attente semblait interminable.
Le bruit d’un moteur me fit brusquement tourner la tête vers la baie vitrée. Je vis une luxueuse voiture ralentir avant de s’arrêter définitivement devant l’entrée. Un homme descendit du siège avant et se précipita pour ouvrir la portière arrière.
Je sentis les battements de mon cœur reprendre leur course dans ma poitrine. C’était certainement mon futur employeur. J’avais envie de rester optimiste, malgré tout.
La portière s’ouvrit. De là où j’étais, je ne distinguai pas les traits du passager, mais sa carrure me provoqua un léger tremblement. Il paraissait imposant, massif. Il se dirigea vers la porte d’entrée, et je n’eus qu’un aperçu de son profil. Il semblait austère.
Je pris de profondes inspirations, tentant de calmer l’agitation en moi.
- Bonjour Chantal. Les enfants sont déjà rentrés ? demanda une voix forte et virile, juste derrière la porte.
- Bonjour, monsieur. Ils ne sont pas encore arrivés, par contre, votre rendez-vous est là.
- Très bien. Je vais la recevoir dans mon bureau… d’ici un quart d’heure.
- D’accord, monsieur.
Quelques minutes plus tard, on toqua à la porte du salon.
- Monsieur Koffi va vous recevoir, veuillez me suivre.
- Merci, répondis-je, le cœur battant à tout rompre.
La majordome me guida à travers un long couloir silencieux, avant de s’arrêter devant une grande porte.
Elle toqua brièvement, puis l’ouvrit après avoir entendu l’invitation.
- Monsieur Koffi, votre rendez-vous.
- Merci, Chantal, répondit une voix ferme.