Chapitre 17 : La Jalousie en Silence
Le dîner se déroulait sous des airs feutrés, l’atmosphère parfaitement orchestrée. La grande salle à manger était plongée dans une lumière douce, créant une ambiance presque irréelle. Le long table en bois sombre était dressée avec une précision millimétrique, les verres scintillaient sous les chandelles, et une légère musique de fond se faisait entendre, juste assez discrète pour ne pas perturber les conversations.
Les invités, tous triés sur le volet, étaient assis autour de la table, et Dante était là, à la tête du groupe, souverain dans son rôle de maître des lieux. C'était un dîner d'affaires, un événement important, mais la tension qui régnait dans l’air n’avait rien de formel. Chacun savait que ce qui se jouait ici ne se limitait pas à des discussions sur des contrats et des investissements. Sous cette surface, les désirs, les manipulations, et les jeux de pouvoir étaient bien présents.
C'était la première fois que j'étais invitée à un dîner de cette envergure, et je sentais le regard de certains invités se poser sur moi, curieux, évaluateur. Mais il y en avait un en particulier qui m’observait plus que les autres, un regard insistant, presque trop évident. Il s’appelait Marco, l'un des partenaires de Dante, un homme dans la quarantaine, élégant mais au sourire un peu trop calculé. Il avait ce genre de présence qui attirait les yeux, non pas par sa beauté, mais par l’assurance tranquille qu’il dégageait. Et il ne semblait pas pouvoir détacher son regard de moi.
Au début, je n’y prêtais pas attention, pensant que c’était peut-être une simple impression. Mais plus le dîner avançait, plus je sentais son regard se poser sur moi. Chaque fois que je levais les yeux, je le trouvais là, me scrutant avec une intensité que je n'avais pas anticipée.
Je pris une gorgée de vin, essayant de détourner mon attention. Mais je pouvais sentir Dante à mes côtés, observant la scène avec une concentration nouvelle. Sa posture, habituellement détendue, s’était légèrement tendue, et une ombre passait parfois dans ses yeux lorsque son regard croisait celui de Marco. C'était à peine perceptible, mais c'était là, une tension silencieuse.
"Tu es distraite ce soir, Carmen," me dit Dante, d'une voix basse mais chargée de sous-entendus. Il avait remarqué. Bien sûr qu’il avait remarqué. "Ce n'est pas comme toi de laisser tes pensées te dominer."
Je lève les yeux vers lui, une pointe d’interrogation dans le regard. "Je suis juste un peu fatiguée," répondis-je, mais je savais que ce n’était pas l'entière vérité. Ce n'était pas la fatigue qui me gênait. C'était cette présence qui flottait autour de nous, et surtout, cette attention trop évidente que Marco me portait.
Dante hocha la tête, mais son regard se durcit un instant lorsqu'il aperçut Marco une nouvelle fois. Je suivis ses yeux, et je compris tout à coup. Ce n’était pas de la simple observation. Marco était en train de me jauger, de m'analyser, d'une manière qui me mettait mal à l’aise. Et ce regard, il le portait à un moment où Dante était là, juste à côté de moi, là où il n’avait rien à prouver, rien à gagner.
"Il me regarde un peu trop, non ?" murmurai-je, pour que Dante l’entende, mais sans attirer l'attention des autres.
Un rictus passa sur les lèvres de Dante. "Il est impoli," dit-il froidement, sa voix dénuée de toute chaleur. "Il n’a pas l'habitude de voir quelque chose qui l'intéresse autant."
Je fronçai les sourcils, perplexe. "Ce n’est pas un jeu pour lui, Dante," répliquai-je, un peu surprise par la manière dont il réagissait. "Je suis sûre que ce n’est rien."
Mais Dante ne semblait pas convaincu. Il était toujours aussi impassible, mais il y avait dans ses yeux une lueur de méfiance qui, cette fois, ne me semblait pas anodine. "Tu es trop naïve, Carmen," dit-il d'un ton plus dur, presque imperceptible. "Il n'y a pas de place pour les regards innocents dans ce monde. Et lui, il sait exactement ce qu’il veut."
Je n’étais pas certaine de comprendre pleinement ce qu’il sous-entendait, mais l’inquiétude qui émergeait en Dante m’était déjà familière. Il n’aimait pas cette attention portée sur moi, pas sous ses yeux, pas là, pas maintenant.
L’un des autres invités prit la parole à ce moment-là, brisant le silence tendu qui commençait à se former entre nous. Le dîner se poursuivit, mais la tension restait présente. Dante n’intervenait plus directement, mais je sentais son regard peser sur Marco chaque fois qu'il se permettait de me regarder trop longtemps.
Le dessert arriva finalement, et avec lui, un instant de répit. Mais Marco, imperturbable, se leva et s’approcha de la table, se penchant légèrement vers moi. Il souriait de manière affectée, comme s’il savait exactement l’effet qu’il avait.
"Tu sais," dit-il d'une voix basse mais pleine de sous-entendus, "je suis impressionné par ta présence ce soir. Il faut dire que Dante a un goût excellent."
Je le regardai, tentant de rester calme, mais un frisson désagréable parcourut mon dos. Dante, de l'autre côté de la table, était visiblement tendu. Je pouvais presque sentir l’électricité dans l’air entre eux, la manière dont Marco jouait avec les limites et la patience de Dante. Ce n’était pas juste une discussion d’affaires.
"Merci," répondis-je simplement, mais ma voix trahit une légère tension. Je n’aimais pas ce genre d'attention, surtout venant de quelqu’un qui savait comment manipuler ses mots avec une telle aisance.
Dante se leva brusquement, coupant court à la conversation entre nous deux. Il posa une main sur mon épaule d’un geste protecteur, presque possessif, avant de se tourner vers Marco avec un regard qui ne laissait plus aucune ambiguïté.
"Marco," dit-il d’une voix plus grave, "je crois que nous avons fini ici. Ce dîner touche à sa fin."
Le ton était tranchant, et Marco, bien qu’un peu surpris, se redressa et s'éloigna, sans chercher à provoquer davantage. Dante se tourna alors vers moi, une expression plus froide, mais moins agressive qu’auparavant.
"Ne laisse jamais personne te regarder comme ça," dit-il simplement. "Pas en ma présence."
Je n’étais pas sûre de ce qu’il voulait dire exactement, mais je compris une chose : dans son monde, ce genre de regard n’était pas simplement un signe d’intérêt. C’était une menace, une tentative de franchir une ligne que Dante ne pouvait pas laisser passer.
Alors que le dîner se terminait, je me rendis compte que ce n’était pas seulement la discussion des affaires qui se jouait ici. C’était une bataille de territoire, une lutte silencieuse mais intense. Et moi, j’étais au centre de cette guerre invisible, entre deux hommes, entre deux forces.