Chapitre 5 Part 2

1713 Words
Le bar clandestin ressemble à n'importe lequel du monde des humains : au fond d'une pizzeria qui ne paie pas de mine, il y a une porte dérobée qui ouvre sur un escalier, puis une vaste cave réaménagée, avec un comptoir et des tables éparpillées, une lumière tamisée, de la musique de fond et de l'alcool à foison. Malheureusement pour moi, je me retrouve avec une limonade - parce que mon idiot de fiancé respecte la loi à la lettre. Lui, il sirote attentivement un whisky. Nous buvons don un verre, assis à une table haute. -En quoi cet endroit est un problème ? demandé-je au bout d'un moment. Il y a peu de monde, certes, mais je ne vois rien d'étrange, à part des humains qui travaillent et d'autres qui s'installent aux tables pour se détendre, probablement en before avant de trouver un club pour la nuit. Je dois bien reconnaître une chose : ma tenue est adéquate. -Les propriétaires sont des satyres, m'explique-t-il à voix basse. Ils m'ont aperçu, là-bas. Il me désigne discrètement deux personnes, à l'autre bout du bar, qui discutent, penchées l'une vers l'autre. -Ils ont l'air tout à fait normaux. À part leur bonnet qu'ils portent à l'intérieur. -Pour cacher leurs cornes. -Oh. Mais ils ont des pattes de chèvre aussi ? -De bouc, oui. Ils les cachent lorsqu'ils sont au milieu des mortels. Je hoche la tête avec l'impression d'être dans un film. Une part de moi a vraiment envie de s'amuser de la situation inédite dans laquelle je me trouve : avec un dieu, dans un bar, pour surveiller des satyres. Je n'aurais pas pu l'inventer moi-même ! -Et qu'est-ce qu'ils ont fait de mal ? -On les soupçonne de vendre du Nectar divin aux mortels, ce qui est formellement interdit, m'indique Deimos en resserrant son verre dans sa main. -Pourquoi ? Les sensations et l'accoutumance sont trop fortes pour les humains. C'est comme une dr@gue dure. Qui ressemble à une grappa au miel et à la rose. OK, l'intrigue s'étoffe ! Je pose mes deux coudes sur la table et mon menton au creux de mes mains. -Qu'est-ce qu'on fait maintenant, inspecteur ? Deimos me jette un regard suspicieux, surmonté d'un haussement de sourcil. -Vous êtes comme la police, non ? -Je ne réponds qu'à la loi de Zeus, me corrige-t-il aussitôt. J'acquiesce, pas du tout surprise. Mais puisque nous sommes attablés tous les deux, autant en profiter. -Pourquoi travaillez-vous pour Zeus ? Loin de toute votre famille. Son visage se fige. Je crois qu'il hésite. -Parce que je lui suis redevable, prononce-t-il froidement. Je n'ose pas lui dire que ça a l'air grave. Devoir quelque chose à Zeus, maître manipulateur et vindicatif de l'Olympe... rien que l'idée me fiche des frissons. Je pensais que c'était un arrangement familial. Apparemment, il y a plus. -Ella, reprend-il d'une voix de plus en plus grave. Rhapso a raison sur un point. Il marque une pause alors que je suis pendue à ses lèvres. Rhapso ne manque pas de bon sens, pour ce que j'en ai vu. Mais quel point Deimos a-t-il besoin d'approuver, au juste ? -Seigneur Deimos ! nous interrompt l'un des satyres en s'approchant de notre table. Ses sabots et ses pattes de bouc, chaussées dans des boots épaisses, expliquent probablement sa démarche curieuse. Mais ses traits ne révèlent en rien sa nature. Peut-être qu'en détaillant bien son bonnet noir, on pourrait apercevoir les deux petites pointes de ses cornes. -Quel honneur de te voir ici, dans notre humble troquet. Il courbe son échine devant Deimos, au point de toucher ses genoux. -Et en compagnie d'une empousa ! Une quoi ? Ni une ni deux, Deimos lui saisit la gorge et le ramène à lui avec une brutalité inattendue. -Surveille tes paroles, s****e ! siffle-t-il en émettant une onde effrayante que je n'avais pas encore ressentie aujourd'hui. -Pardon, seigneur ! parvient à dire la créature, les doigts crispés. -Tu t'adresses à ma fiancée, ne lui manque pas de respect ! Craignant d'attirer l'attention sur nous, j'attrape l'épaule de Deimos en espérant qu'il lâche prise. Tous ses muscles sont tendus à l'extrême. -Arrêtez ! Les clients vont vous voir ! Il repousse le satyr d'un geste. -Pardonne-moi, Fiancée de la Terreur, je l'ignorais, halète-t-il en reculant. On vous offre le champagne, pour célébrer vos fiançailles ! Et il s'éloigne plus rapidement qu'il n'était arrivé. Deimos se rassoit calmement alors que ma nervosité est revenue au galop et me frappe les tempes. En plus d'être froid, pratiquement dénué d'humour, d'une sévérité à toute épreuve, mon fiancé est aussi un sanguin. -C'est comme ça que vous intervenez sur le terrain ? -Maintenant que je lui ai fait peur, il va commettre une erreur. -Ou vous pourriez l'interroger directement, au lieu de l'effrayer. -Je suis la Terreur, Ella, me rétorque-t-il. Je pousse un soupir sans pouvoir m'empêcher d'aller plus loin. -Et moi, une empousa ? -Ne dis pas ça. J'attends de plus amples explications, mais rien. -Pourquoi ? Qu'est-ce que c'est ? -De très anciennes démones au service d'Hécate, elles n'existent plus aujourd'hui. Mais le terme est resté pour injurier les sorcières. Je me raidis. -Donc, vous avez pris ma défense ? hésité-je, surprise. -Tu es ma fiancée, c'est aussi moi que l'on insulte. Ah oui, voilà, c'est plus crédible. -Viens, dit-il rapidement en se levant. Il m'attrape la main et m’entraîne avec lui dans la salle du bar qui se remplit petit à petit. Préoccupée par sa brusquerie, je n'avais pas fait attention à un détail : les deux satyres viennent de disparaître à travers une petite porte de service. On s'y faufile à noter tour et on se retrouve dans un couloir peu éclairé, ouvrant sur deux portes. La première, vitrée, donne sur un bureau vide, mais aux lumières allumées. La seconde est entrouverte et plusieurs voix retentissent à l'intérieur. Deimos jette un œil dans l'entrebâillement avant de s'accroupir. Je suis son mouvement, prise malgré moi dans l'action. Là, c'est vraiment comme dans un thriller policier ! Il pousse lentement le battant, suffisamment pour nous permettre de passer sans nous faire remarquer. La salle est grande, c'est là que sont entreposées toutes les réserves du bar. Des caisses et des fûts nous couvrent assez pour que nous trouvions refuge debout, derrière une étagère pleine de cartons. La pénombre règne et nous masque d'autant plus. Cinq ou six satyres discutent au centre, tous fébriles, chuchotant mais sans pouvoir retenir des exclamations de panique. L'un d'eux désigne une caisse remplie de bouteilles dont le liquide, transparent, semble scintiller de loin. Probablement le fameux Nectar divin. Deimos me plaque fortement contre lui, son attention entièrement porte sur les brides de conversation que nous pouvons capter d'ici. Mon corps se tend fiévreusement. Entre son odeur de bois brûlant, la dureté de son torse de la chaleur qui émane de lui, je me sens à nouveau partir dans des pensées qu'Athéna va condamner. La minuscule chouette, pour passer inaperçue, s'est épinglée sur le blouson de Deimos. Je ne peux peut-être pas la voir, mais je sais qu'elle va me juger illico ! Alors, alors. Changeons-nous les idées... Son habitat de base est terrible, mais je pourrais rajouter des plantes là où nous vivrons. Et arrêter d'avoir les jambes tremblotantes dès que mon nez se retrouvera contre sa poitrine comme ça. Et son bras au creux de mes reins, on en parle ? Hop hop hop ! Pas de pensées tordues, on a dit ! Si en plus ce qui l'excite, ce sont les mini-jupes et les bottes en cuir, on est mal barrés. Un mufle. Un mufle, un mufle, un mufle ! Un mufle musclé, bon sang ! C'est quoi c'est abdos béton ? Ma main s'est retrouvée pile dessus par accident, pas pu m'empêcher de ... c'est agréable, de peloter contre quelqu'un. Sans danser, sans personne d'autre. Juste ça. La mini chouette débarque sur le dos de ma main et se met à me toiser comme une gardienne de prison. OK, OK. Je me décolle un peu du dieu physiquement très - trop - attirant. -Rhapso a raison sur quel point ? murmuré-je avec curiosité. Vous n'avez pas eu le temps de me le dire. Deimos, qui ne doit certainement pas ressentir le même trouble que moi à cet instant, met quelques secondes à répondre. -Je te trouve jolie, moi aussi. ... Ça n'aide pas du tout mon coup de chaud, ça ! Ma gorge se noue, mon ventre pétille, et mes joues crament. Ce n'est qu'un jugement physique, soit, mais est-ce que par le plus grand des hasards, je viens de réussir à percer un tout petit peu sa carapace ? Parce qu'il passe tout de même du à . Mon pouls se déchaîne. -Arrête ça, dit-il. Facile à dire ! J'étais chamboulée physiquement et me voilà maintenant chamboulée émotionnellement ! -Arrête de briller. Je suis brillante aussi ? Tout doux, dieu de la terreur ! Minute. Ce sont mes mains qui luisent comme ça ? -Qu'est-ce que... -Arrête, Ella, ils n'ont toujours pas donné le nom de leur fournisseur. Ce n'est pas le moment de se faire repérer. Je me détache du radiateur divin, ahurie. Par Hécate ! Je luis ! Mais qu'est-ce qui m'arrive ? Un bruit de verre brisé me fait sursauter. -On est découverts, grogne Deimos. Érinyes, Semés, avec moi ! Des cartons et des bouteilles se mettent à voler à travers la pièce alors que les satyres poussent des cris et tentent de s'enfuir, soudainement confrontés aux créatures aillées at abus ombres qui jaillissent du sol. Deimos me repousse contre le mur. -Ne bouge pas ! me somme-t-il d'une voix rude. Je n'en ai pas très envie, à la base. Mais il ne me lasse même pas le temps de lui préciser. Sa taille double subitement. Les contours de son corps se brouillent Mon cœur manque un battement. Deimos est en train de changer de forme. Et il ne devient pas un chien-loup grincheux au poil si doux qu'on ne veut que le caresser. Non. Il devient autre chose. Quelque chose qui me paralyse. Une ombre gigantesque, sombre, opaque, monstrueuse. Un néant avec deux yeux jaunes. Une pure Terreur.
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