Chapitre 14 part 2

2469 Words
Le calme est revenu dans ma chambre. Éros et Antéros sont montés se coucher après avoir bien bu et bien joué. Mes sœurs se sont allongées sur mon lit, vannées. J'aurais pu leur donner une chambre au deuxième, mais on a préféré rester proches et j'ai l'habitude de dormir avec elles. Sauf que, contrairement à elles, qui sombrent lentement mais sûrement, je n'ai pas sommeil. Je triture la Stilla entre mes doigts depuis un moment. La gorge nouée, je me lève sans un bruit, enfile un sweat sur mon débardeur, et sors de mon appartement pour me diriger vers celui de Deimos. Il dort sûrement à cette heure-là. Mais plus j'approche de sa chambre et plus j'entends des voix. C'est une chose de se faire surprendre par Deimos, c'en est une autre d'ajouter un second dieu qui se poserait encore plus de questions. J'avais peur de ne pas me sentir suffisamment menacée pour déclencher les pouvoirs de la Stilla - Deimos ne m'ayant jamais donné de raisons de le craindre -, et finalement, le sort me vient en tête sans difficulté alors que je serre le pendentif dans ma main. -Protège-moi, Stilla, peu importe le coût ; et rends-moi invisible aux yeux de mon époux. Une énergie inconnue, comme une bouffée de chaleur chatouillante, se diffuse en moi. Je regarde ma main disparaître, et baisse les yeux sur mon corps sans le voir. Incroyable ! J'ai fait de la magie, moi ! J'ai envie de trépigner d'excitation mais je me ressaisis bien vite. J'ignore combien de temps le sort dure. Alors je reprends mon chemin et me plante derrière la porte entrouverte de la chambre de Deimos. Ce n'est pas une conversation normale qui agite Deimos et son frère, Éros, mais plutôt une engueulade. -Rentrez à Cythère ! Vous n'avez rien à faire ici ! s'agace Deimos. -Harmonie voulait te voir ! Après sa fugue il y a quelques semaines, pour terroriser ta promise, notre mère refuse qu'elle échappe à notre vigilance ! explique Éros, sur le même ton. -Il fallait la convaincre de rester ! reproche Deimos. Une aura sombre l'enveloppe peu à peu. -La rapprocher du Siège la rend nerveuse ! ajoute-t-il. -C'est parce qu'elle a besoin de toi ! -Tu n'es pas obligé de rester avec Antéros ! Vous débloquez les Érynies et les Semés ! Ils deviennent faibles et sentimentaux quand vous êtes dans les parages ! Éros lève les bras au ciel avant de les laisser retomber et de tourner en rond. Parce que les maintenir dans la colère et dans la peur, c'est mieux ? Pourquoi tu ne dis pas que c'est toi qui crains de ressentir autre chose ? Mon cœur s'emballe en les entendant s'écorcher à ce sujet. Est-ce que Deimos élimine d'office la possibilité de tomber amoureux ? -Je refuse de te servir de cobaye, rappelle froidement le dieu de la terreur. Demain, vous rentrez pour Cythère. Éros soupire et baisse les bras. Il abandonne Deimos Je recule pour qu'il ne me bouscule pas en passant. Je tente de reprendre mes esprits avant de me reconcentrer sur ma mission. De toute façon, Deimos n'est pas près de dormir, il doit d'abord retrouver son calme. Je profite de la porte ouverte pour me caler dans un coin de la chambre. Je fais bien parce que mon époux fait trois grandes enjambées et claque puissamment le battant, nous isolant sans le savoir. Il se déshabille en plusieurs gestes désordonnés, et retire son boxer avant d'entrer dans la salle de bains. Je me mets å frissonner seulement à cet instant. Mon pouls et ma respiration sont loin de se calmer ! Je suis toujours invisible, mon époux va se détendre et tout va redevenir possible pour moi. J'entends le tonnerre gronder dans la petite pièce adjacente. Il a dû commander à Nérée une tempête, ça semble plus fort que son orage quotidien. Lorsque Deimos ressort de là, toujours aussi nu, me forçant à regarder ailleurs, il baisse la lumière et s'allonge sur le lit, de son côté, alors qu'il est seul. Moi, j'ai repris mon habitude de célibataire, à savoir m'étaler dans mon lit. Sur la pointe des pieds, je m'avance. Il reprend la lecture de son livre, une main sous sa nuque. Rho bon sang... La vue de son corps alangui m'avait manqué. La chaleur irréelle qui irradie de lui me manque. Et cette sensation si particulière, que je n'éprouve qu'à de rares instants, grâce à lui, me manque : une sécurité bien réelle. Au fur et à mesure des minutes qui s'écoulent, il dépose son livre, au bord de la somnolence. Il ne devrait pas tarder à s'endormir alors que les battements de mon cœur sont si bruyants ! J'espère de toutes mes forces qu'il ne va pas les percevoir. Deimos fait ensuite quelque chose d'imprévisible : il regarde à côté de lui, là où je dormais, d'un air pensif. Est-ce que ma présence pourrait lui manquer, à lui aussi ? Ou est-ce que c'est moi qui interprète son comportement comme ça m'arrange ? Les pieds ancrés au sol, je le regarde s'endormir, plus troublée que jamais. J'essaie de ne pas songer aux paroles d'Antéros, même si j'ai de plus en plus de mal à nier cette évidence : mon corps brûle pour lui. Je suis attirée par lui. Et je repense aux paroles de Madeline qui m'affirmait qu'il fallait savoir se dévoiler à son partenaire. Le fait est que plus ça va, et plus je gagne en assurance à ses côtés. Et comme il ne me force à rien, qu'il attend tout de moi, je me rends compte que le pouvoir est entre mes mains. -Arrête ça, Ella. Je sursaute ! Pourtant je suis encore invisible ! Et je n'ai même pas eu le temps de le grattouiller ! Deimos me regarde droit dans les yeux. -Tu luis. Je tends la main devant moi, une lumière en jaillit, bien plus forte que les dernières fois. Comme je suis repérée, le sort d'invisibilité se lève et je me mets à balbutier. -Désolée. Mes sœurs m'ont jetée ce sort pour que je puisse t'observer et mieux te connaître. Ma voix tremble et mes paroles sortent à toute vitesse. Deimos se redresse sur ses coudes, sans aucune colère, mais visiblement intrigué. -Tu peux me poser directement des questions, tu sais. C'est vrai qu'on n'a eu aucune discussion de fond depuis qu'on est mariés. Le seul échange honnête, ou presque, que nous avons eu date de notre nuit de noces. J'ai toujours des questions en suspens pour lui, sans jamais oser les poser. Alors, afin de bien appuyer ma version des faits, je m'assieds au bord du lit et me lance. -Pourquoi vous vous transformez en chien-loup ? Il ne devait pas s'attendre à cela. Il se redresse et le drap glisse au niveau de son abdomen. On est très proches et ça me plaît. -Parce que le chien est l'animal de mon père, et le loup celui de ma mère. -Alors vous tenez aussi d'Aphrodite, dis-je avec un petit sourire. Ce n'est pas une origine qu'il semble revendiquer, malgré son attachement pour elle. -Je tiens plus de mon père, affirme-t-il d'un ton dur ne pouvant être contesté. -C'est parce que vos parents sont si différents que vos relations sont difficiles avec votre famille ? -Probablement oui. OK. Il n'a pas envie d'aller plus loin. Mais moi, si. Je suis désolée, mais vous avez l'air isolé au milieu d'eux. Il ne répond rien sur le coup. Il me fixe intensément, ses iris dépareillés me renvoient des impressions contraires. C'est toi qui me dis ça ? finit-il par dire à voix basse. Je ravale mes mots. Ma propre phrase résonne dans ma tête. Moi aussi, je dois avoir l'air isolée au milieu de ma famille. Et je le suis véritablement. Ce que je ressens pour lui, alors que je ne le devrais pas, va m'isoler davantage. Deimos tend la main et ramène une mèche de mes cheveux derrière mon oreille. Un geste si tendre que je le saisis au vol, mes doigts se resserrant sur les siens. Le fait est que je ne me sens pas isolée avec lui, curieusement. Je ne comprends pas tout ce qui se passe dans ma tête, je ne me sens pas seule. Je m'éclaircis la voix, tout en conservant ce contact avec lui. La paume chaude de sa main frôle ma joue et me force à fermer les yeux pour ne pas perdre pied. Son odeur de pluie et sa voix grave, lorsqu'elle ne rugit pas, font vibrer toutes mes cordes. -Et votre frère ? murmuré-je. Phobos. Parlez-moi de lui. Je perçois un court soupir embêté. -Je ne peux pas te parler de Phobos. Il n'y a pas d'agression dans sa réponse, plutôt une sorte de résignation. -Pourquoi ? -Parce que je ne te connais pas suffisamment, Ella. C'est la réponse la plus vraie qu'il puisse me donner. Et aussi celle qui me fait le plus mal. -Je comprends. Sa main quitte ma joue mais nos doigts restent liés. Je rouvre les yeux, il s'est un peu rapproché de moi. Je me sens comme une cocotte-minute prête à siffler. Son regard devient incandescent, son souffle est plus profond et je me rappelle juste à cet instant combien son cœur bat lentement alors que le mien percute ma poitrine de plus en plus vite. -Pourquoi tu luis comme ça ? m'interroge-t-il à son tour. Ce n'est plus le cas à cet instant, mais Deimos en été témoin deux fois à présent. Et je n'ai toujours aucune explication. -Je ne sais pas. Je me penche vers lui avec une seule envie : presser mes lèvres sur les siennes. Il ne m'arrête pas, loin de là. Sa main se glisse dans mes cheveux pour mieux me rendre mon b****r. Je grimpe sur le lit, il m'attire contre lui et je me retrouve à califourchon sur ses hanches. Le contact de mes genoux nus et de son torse me fait hoqueter. Je n'ai plus qu'à me raccrocher à ses épaules, le souffle court. Ses mains au bas de mon dos me font tourner la tête ! Je veux reprendre le b****r mais il me devance en me ramenant encore plus près de lui, ses bras m'enlaçant. J'enroule les miens, autour de son cou, sombrant dans une pure satisfaction en me sachant enfin blottie contre lui, pleinement volontaire, un désir brut au creux du ventre. Sa langue quémande le droit d'entrer, je le lui accorde sans hésiter. Je la fais danser avec la mienne, me surprenant à frissonner dès qu'il grogne. Je réprime si fort un gémissement que je ne contrôle plus mes griffes. Deimos tressaille et je recule, essoufflée. -Pardon ! Il sourit. Avec une arrogance folle et un côté séduit qui me conforte complètement dans mes préliminaires hasardeux. Je pose mon front sur le sien, il soulève mon sweat et me le retire d'un geste empressé. Ma tension était déjà bien haute, il en remet un coup ! Toute mon intimité s'engorge dès que je me retrouve en débardeur, contre sa peau brûlante. Je peux caresser son dos si sculptural alors qu'il s'aventure dans mon cou pour le mordiller. J'ai envie de me frotter à lui toute la nuit ! -On devrait arrêter là, dit-il. Mais apparemment, on n'est pas sur la même longueur d'onde. -Pourquoi ? Entre ce qu'il vient de dire et ce qu'il est en train de faire - à savoir soulever petit à petit mon débardeur et ravager mon cou -, il y a tout de même un gouffre ! -Parce que c'est la présence de mes frères qui nous influence. Quelle drôle d'idée... Je n'ai jamais été si sûre de moi qu'à cet instant, je n'ai pas l'impression d'être sous l'ascendance de quelqu'un. -Je suis consentante, lui assuré-je. Et j'en ai très envie. Je me sens alors basculée en arrière sur le lit, Deimos au-dessus de moi. -Moi aussi, grogne-t-il en passant ses mains sous mon débardeur, capturant fermement mes seins. Mon corps m'échappe! Je me cambre et gémis d'une manière si aiguë et tremblante qu'un rire étouffé franchit les lèvres de mon époux, occupé à marquer ma peau de toutes les manières possibles. -J'étais sûr que tu aimerais ça, Ella, ma promise. J'aimerais surtout protester et lui faire regretter son excés de suffisance, mais je suis bien trop excitée par tout ça pour vouloir le ralentir. -Ne t'arrête pas, le prié-je seulement, dans un souffle. Il s'immobilise pourtant. Je viens de le tutoyer, ça m'a paru la chose la plus naturelle du monde. Deimos écarte doucement mes jambes pour s'allonger entre elles. Il remonte ma cuisse de sa main et il m'embrasse. Tout devient intense et fort sans que je comprenne pourquoi. Il veut peut-être assagir les choses, c'est ma première fois, après tout. Et même si je sais à peu près à quoi m'attendre, ma nervosité revient au galop. Après plusieurs mordillements divins de lèvres, Deimos reprend la parole. -Ella... Il n'a pas le temps de poursuivre qu'un hurlement retentit dans le manoir. On se fige tous les deux, notre bulle qui nous isolait de tout vient d'éclater. Un second cri, plus féroce encore que le premier, suit rapidement. Je sais que ce n'est pas Circé, ni Méroé, c'est une voix féminine mais déchaînée et irrationnelle. -Harmonie, comprend Deimos en se relevant. Il enfile rapidement son pantalon resté par terre, je me dépêche d'attraper mon sweat et de m'élancer à sa suite. Il dévale les marches de l'escalier pour atteindre le deuxième étage, repousse brutalement Éros et Antéros qui restaient pourtant en retrait devant la porte ouverte de la chambre. Je me faufile derrière lui, mais ses frères me retiennent au dernier moment. Le corps d'Harmonie se tord sur le sol, le visage déformé par une expression terrible, un mix de peur et de fureur. Ses hurlements me prennent à la gorge. -Terreur nocturne, murmure Éros à mon oreille. Deimos s'agenouille à côté d'elle. Est-ce que c'est une bonne idée que le dieu de la terreur s'approche d'elle ? Ne va-t-il pas exacerber sa propre terreur? Je croise les bras, angoissée. Mais qu'a-t-il bien pu arriver à Harmonie pour qu'elle soit aussi instable ? J'entends Circé et Méroé nous rejoindre sans franchir le seuil. Deimos, lui, prend délicatement sa sœur dans ses bras alors qu'elle se débat, exécutant des mouvements brutaux et imprévisibles. Plus il la garde contre lui et plus elle s'apaise. Ça paraît long et court tout à la fois. En voyant Harmonie revenir à elle, bouleversée mais moins agitée, et en voyant son frère la blottir contre lui avec plus de tendresse, je me rends compte d'une nouvelle chose : si Deimos inspire la terreur, il peut tout autant l'absorber. Qu'il le veuille ou non, il est un fils d'Aphrodite.
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