Le sexe avec lui sera permis, encouragé même ! Mince, je vais coucher avec lui à un moment donné, forcément ! Je le savais déjà, mais j'ai l'impression que mon corps me donne enfin son avis à ce sujet. Une pulsion douloureuse me serre la poitrine. C'est lui qui va me toucher et cette constatation me brûle de l'intérieur. Je crois que j'en ai envie. Mon cœur bondit furieusement dans ma poitrine. Oh mais pourquoi j'ai envie de lui alors que je ne sais riem à son sujet ? Je ferme les yeux et me mets à tournoyer contre lui, espérant enterrer ce v*****t désir qui me saisit, mais son corps que je frôle ne m'aide pas du tout. Il réverbère une chaleur très attirante et c'est là que je remarque que son odeur de forêt a changé. Il sent les agrumes, non ? Et le métal, la fumée que dégagerait du bois brûlé. Comme un champ de bataille.
Il m'attrape les épaules pour m'immobiliser, ma chevelure se déverse devant moi. Je m'agrippe à son caban pour m'éviter de tomber. D'un geste, il dégage mon visage. Embrouillée, je ne résiste pas à l'envie de toucher sa peau. Ce qui me demande de me hisser sur la pointe des pieds afin de parvenir à glisser mes doigts sur ses joues. Oh là là, sa peau est brûlante ! Et ses traits si masculins... Je rêve ou mes mains brillent ? Ça dure une ou deux secondes !
-Ella !
Son appel, lointain, se combine à une secousse qui me sonne.
-Ella !
Je me sens ballottée à nouveau et finalement, tout redevient net autour de moi : les lumières des spots, la musique, les corps qui dansent. Comme si je sortais d'un rêve. Me rendant compte que j'ai les deux mains plaquées sur le visage de Deimos, je les retire sèchement, abasourdie. La chouette d'Athéna, posée sur son épaule, me fixe intensément.
-Qu'est-ce que...
-Tu reviens à toi ?
Fiévreuse, je hoche la tête.
-Mais qu'est-ce qui se passe ?
Tout le monde semble absorbé par la musique, personne n'a même remarqué que le chien-loup s'était transformé en géant blond ! Tiens, Jonas a disparu d'ailleurs.
-Une ménade est en train de vous manipuler. Elle vous plonge dans une transe et exacerbe les désirs pour s'en nourrir, m'explique-t-il d'une voix ferme.
Au moins, j'ai une explication rationnelle sur ce que je viens de ressentir pour lui. Voilà qui me rassure. Enfin, je crois.
-C'est dangereux ? demandé-je, inquiète.
-Tu sais comment finit un thiase.
J'attends qu'il détaille un peu plus, mais rien ne vient.
-Non, à l'évidence, m'impatienté-je.
Deimos m'entraîne vers la porte de la maison en poussant un soupir. Il devrait pourtant être le premier à savoir que je ne sais rien ! Il m'a choisie pour cette raison ! Ce mufle !
-Un thiase, ou cortège de Dionysos si tu préfères, se finit toujours par une ivresse folle et de la fornication à tout va.
Je bondis à son éclaircissement.
-Ah mais il faut les arrêter tout de suite ! Ils ne savent pas ce qu'ils font, là !
-Je m'en occupe. Toi, tu m'attends dehors.
Il ouvre la porte, me bouscule sur le palier et referme.
Je reste hébétée devant le battant quelques secondes avant m'exclamer :
-Non mais espèce d'abruti ! Tu pourrais me parler autrement !
Je descends les marches du perron, d'un pas rempli de rage, le regard bas, profondément agacée par son attitude dédaigneuse... et par cette sensation nouvellement ancrée en moi : je l'ai désiré, lui. Mais bien sûr qu'il est attirant avec sa f****e perfection divine ! Elle n'avait rien d'autre à faire, cette ménade ? Plutôt que de contrôler mon esprit ?
-Deimos parle comme il l'a toujours voulu.
La voix m'arrête. Je lève les yeux, une jeune femme se tient debout, près de moi, dans l'allée de la maison.
Ses longs cheveux bruns sont noués en un chignon lâche grâce à un ruban. Elle porte un péplos blanc, retenu aux épaules par deux broches et maintenu sous la poitrine par une ceinture en bronze. Un collier de grosses perles rondes en or pare sa gorge. Elle semble sortir tout droit de l'Antiquité sans s'inquiéter de se retrouver là, sur un campus américain moderne.
-Il ne pourrait pas s'adresser à toi autrement, ajoute-t-elle d'un ton égal.
Ses iris sont aussi verts que l'émeraude et son sourire un peu étrange. Elle est là, mais semble aussi ailleurs. Je ne saurai pas comment l'expliquer.
-Qui êtes-vous ? demandé-je, à la fois plus détendue et aux aguets.
Elle passe lentement ses doigts sur son collier en m’étudiant avec un certain intérêt.
-Harmonie. La petite sœur de Deimos.
-Oh.
Il a bien évoqué des frères, mais jamais de sœur.
-Et que faites-vous là ?
-Je voulais voir à quoi tu ressemblais. Zeus m'a offerte, moi aussi, à un mortel, il y a bien longtemps. Je me demandais si tu étais faite de la sorte.
> ? Est-ce qu'elle croit que Deimos m'est offert ? J'ai plutôt l'impression que c'est Deimos qui m'a achetée... Et d'ailleurs, c'est quoi cette habitude de Zeus de marchander ses propres petits-enfants ? Est-ce qu'en plus la sœur de Deimos ne serait pas en train de me menacer ?
-Qu'est-ce que ça veut dire, > ? lancé-je, sur mes gardes,
Sans me quitter des yeux, Harmonie fait quelques pas et sa tête se met à onduler de gauche à droite avec une lenteur inquiétante. On dirait un reptile qui repère sa proie
-Cadmos n'était pas l'homme que je désirais. J'étais réticente. Et je ne suis pas sûre que mon frère soit consentant à son tour.
-Votre frère m'a choisie.
Il me manquerait plus qu'il soit réticent !
-Parce que tu n'as pas de pouvoirs. Les sorcières sont dangereuses.
Je dodeline de la tête. Je commence à connaître la chanson.
-Quel genre d'épouse vas-tu être pour lui ?
Ça ne me frappe qu'à cet instant. Elle tente de percer mes intentions envers son frère, en fait ? Je la voyais comme une déesse malveillante, mais est-ce qu'elle ne chercherait pas tout simplement à protéger Deimos ? toute ma tension s'affaisse. Je croise les bras en souriant.
Ça la met aussitôt mal à l'aise.
-Vous me demandez vraiment si mes intentions envers votre terrifiant grand frère sont honorables ? C'est adorable, vous savez ?
Harmonie se crispe, les doigts triturant son collier.
-Il n'y a rien d'adorable à vouloir protéger ses frères ! rejette-t-elle.
-Hum, votre frère fait deux mètres et il est la terreur incarnée, je ne suis pas sûre qu'il soit vraiment en danger avec moi, une sorcière sans dons d'un mètres douze. C'est vraiment mignon de penser le contraire.
Harmonie se raidit, les bras le long du corps. On dirait moi, face à mes deux grandes sœurs qui me chercheraient. Je crois que je sais enfin ce que ça fait d'être de l'autre côté !
-Deimos ne sait pas encore ce qui est bon pour lui ! me renvoie-t-elle nerveusement. Et il ne mesure pas deux mètres. Et toi, tu ne fais pas un mètre douze.
Comme son frère, elle a du mal avec le second degré. Ça la rend encore plus chou.
-Je ne m'inquiète pas de tous mes frères de cette manière. Éros et Antéros n'ont pas besoin de moi ! Mais Deimos et Phobos...
Il sont quatre ? Je devrais plutôt en profiter pour poser des questions constructives à Harmonie, au lieu de la taquiner. Je m’apprête à me lancer quand, alors qu'elle semble troublée par mes paroles, elle tend les bras devant elle et deux serpents jaillissent brusquement d'elle. Je sursaute et m'emmêle les pieds tout en reculant. Son visage s'est transformé : il ne reflète plus que de la rage et ses yeux brillent de fureur. Un hurlement s'enraye au fond de ma gorge. Je veux m'enfuir mais je suis interrompue par un désordre bruyant derrière moi : les portes de la maison Alpha-Oméga s'ouvrent et l'ensemble des étudiants qui s'y trouvaient se précipitent à l'extérieur.
Tous poussent des cris et déguerpissent comme des volées de moineaux. J'aperçois à peine Madeline et Rachel, main dans la main, courir sans se retourner. J'ai l'impression d'être au milieu d'une nuée d'oiseaux qui se dissipe aussi rapidement qu'elle est apparue.
Lorsque le calme revient, Deimos s'extrait de la maison à son tour, calmement, le col du tee-shirt de la DJ coincé dans son poing. Il la traîne au bas des marches alors qu'elle tente de se libérer tout en grommelant des malédictions. Mais il en faut bien plus pour inquiéter le dieu de la terreur ! Il affiche même - et enfin - un large sourire que je trouve bien cruel. Je ne l'avais pas encore vu à ce point satisfait, et c'est tout autant effrayant que sa bouche droite et inexpressive.
La chouette dorée a repris sa forme féminine et talonne Deimos.
-Il y avait peut-être une façon d'agir plus discrète, sermonne Athéna.
-Personne ne m'a vu, je n'ai fait qu'inspirer la terreur sans la montrer, réplique Deimos. J'ai la ménade, c'est le principal.
Athéna secoue la tête avant de tourner son regard argenté vers nous. Elle jaugé la situation en un quart de seconde.
-Harmonie, chérie, range tens serpents.
Les deux reptiles retournent à leur maîtresse, s'enroulent autour de ses bras et disparaissent sous sa peau. Je reste figée de peur devant ce spectacle. Pas si adorable que ça, la sœur de Deimos. Elle a l'air complètement folle !
-Que fais-tu ici ? lui demande Deimos.
-J'ai entendu Mère et Père parler de ton union avec une mortelle.
Deimos acquiesce en laissant échapper l'un de ses grognements graves et éraillés.
-Rentre, je t'en reparlerai.
Harmonie disparaît sans discuter.
-Oudïos, Chthonios ! appelle Deimos.
Deux ombres s'extirpent du sol, deux silhouettes casquées, revêtues d'une tunique et d'une cuirasse dont on peut vaguement distinguer le relief, un glaive à la main pour l'une, une lance pour l'autre. Elles s'inclinent devant les dieux avec un profond respect avant de saisir les bras de la ménade.
-Ramenez-la au Siège, ordonne mon fiancé.
Les deux ombres s'enfoncent dans le sol avec la créature qui ne pipe mot.
Une fois que nous sommes seuls, Athéna se tourne vers moi.
-Si je peux me permets de faire la leçon à mon neveu, tu penses bien que je te la ferai aussi, me lance-t-elle sur un ton autoritaire impressionnant.
Elle fait sans doute référence à Jonas, mais j'étais sous l'emprise d'une ménade ! Enfin, oui et non. Je ne cache pas mon attirance pour lui non plus. Attirance que je dois enterrer six pies sous terre. Alors je hoche la tête sans protester. Ça n'est jamais bon de se dresser contre Athéna, les mythes l'ont tous dit et répété.
-Oui, madame.
Athéna semble apprécier ma réponse.
-Alors je vous laisse pour ce soir.
La chouette reprend sa forme et se pose sur l'épaule de Deimos en sentinelle.
Il ne reste plus que nous deux. Je me rends compte que tous mes muscles sont à nouveau fébriles et contractés. J'ai peur, j'ai froid, j'en ai assez. Ce devait être une soirée détendue et ça a viré au désastre.
Deimos allonge le bras en direction de la maison, mon manteau et mon écharpe bondissent tout seuls dans sa main. Je fais un pas vers lui pour lui prendre sans attendre qu'il me les offre. Je m'emmitoufle en espérant un peu de réconfort dans la chaleur de la laine.
-Je vais rentrer, bonne soirée, lancé-je avant de m'éloigner.
-Attends.
Je ralentis avant de m'arrêter. J'ai des scrupules. S'il n'avait pas été là, je ne sais pas comment la soirée aurait réellement tourné avec une ménade dans les parages. J'aurais peut-être juste couché avec Jonas sans vraiment vouloir. Mais avec Deimos, je dois me confronter à sa terreur et son mutisme, à sa sœur et ses serpents, et à Athéna qui me surveille. Je m'en passerais bien. Ma vie n'est peut-être pas incroyable, mais j'avais fini par trouver du sens dans un quotidien paisible ici.
-Quoi ?
-Viens chez moi, demain, requiert-il.
-Chez vous ?
Je retiens un qui n'avait servi à rien lorsqu'il s'était invité ici.
-Tu ne sais pas comment je vis.
Sincèrement, je ne suis pas sûre que ça m'aide à mieux accepter ce mariage. Mais l'idée vient de lui, une nouvelle fois. Il essaie peut-être, à sa manière, de me faire découvrir ses habitudes.
-D'accord.
-Je passerai te prendre chez toi, décide-t-il avant de s'éclipser.
Je me mords la lèvre. Je ne sais pas encore où je vais avec tout ça, mais j'y vais.