Le parfum du passé

817 Words
Le grincement de la porte métallique déchira le silence, comme une lame qu’on aiguise lentement sur une pierre. L’odeur dans la pièce était familière : sueur froide, sang séché et peur. Elle collait à la peau, s’insinuait dans les narines, un parfum que j’avais appris à aimer. Il était attaché à une chaise, le corps secoué de tremblements. L’un de mes chiens l’avait un peu trop secoué. Sa lèvre inférieure pendait, ouverte en deux, et ses yeux me suppliaient déjà de parler doucement. Trop tard. Je m’approchai lentement. Mes talons résonnaient sur le sol nu comme les battements d’un cœur qu’on traque. — Tu l’as vu ? soufflai-je, chaque syllabe aiguisée comme une pointe de couteau. Il hocha la tête, mais pas assez vite à mon goût. Je sortis la lame de ma ceinture et la posai doucement sur son épaule, traçant un cercle paresseux. — Noam Bastien, je veux tout. Où, quand, comment, avec qui. Et si tu mens, je le sentirai. Il déglutit, une goutte de sang s’écoulant de sa bouche. — Montsouris… il s’est installé là. Sous un nom d’emprunt. Il bouge peu, mais… il observe. Il recrute. Il sonde ton réseau. Je souris. Un sourire glacial. Le genre qui précède toujours quelque chose de laid. — Tu vois, je respecte la peur. Elle fait parler les gens. Mais la trahison… elle m’insulte. Si tu mens, même un mot, je te ferai regretter d’avoir été mis au monde. Je rangeai la lame. Pas besoin de plus. La terreur fait mieux que le sang. Il bredouilla encore des noms, des horaires, des lieux. Je notai tout mentalement. Puis, sans un mot, je quittai la pièce. Derrière moi, j'entendis le son étouffé d’un sanglot étranglé. Il était vivant. Mais le message était clair. On ne ment pas à Raven. --- La pluie s’était mise à tomber, glaciale, tranchante. Je montai dans le SUV sans même jeter un regard autour de moi. Les vitres teintées me coupaient du monde. Tant mieux. Le monde ne méritait pas de voir mes pensées. Assise à l’arrière, je fixai la ville déformée par les gouttes d’eau, comme si Paris elle-même était en train de fondre. Tout était silencieux, hormis le crépitement de la pluie. Mon silence à moi était plus lourd encore. Il portait un nom. Noam. Je l’avais vu. Assez pour savoir qu’il n’était plus l’enfant tendre d’autrefois. Lui aussi avait goûté au feu. Il était revenu plus dur, plus froid. Mais moi… j’étais la tempête. Lui, il avait appris à nager dans l’orage. Moi, je l’avais inventé. --- Sienna m’attendait dans mon bureau. Elle savait toujours où se placer : ni trop près, ni trop loin. Son tailleur rouge sang contrastait violemment avec la noirceur de la pièce. Elle m’apporta une enveloppe, ses gestes aussi mécaniques qu’un scalpel. — Bastien a racheté une boîte de cybersécurité. Une couverture. Mais il a bougé. Il a rencontré Dario Velasquez. Mon regard s’assombrit. — Dario ? Il mange dans ma main depuis dix ans. — Il a hésité. Le silence fut plus tranchant que si j’avais crié. Je me levai, lentement, et fis glisser mes doigts le long du dossier en cuir du fauteuil. Puis je sortis un revolver de mon tiroir. Non chargé. Juste pour le poids. Pour le message. — Je veux que tu lui montres ce qui arrive aux chiens qui oublient qui les nourrit. Sienna hocha la tête, presque satisfaite. — J’ai doublé sa part, pour qu’il tremble de culpabilité. Mais je lui ai dit qu’il perdrait un doigt à la prochaine hésitation. — Mauvais choix, dis-je froidement. On commence par un œil. Le doigt, c’est quand ils pleurent. Je m’approchai d’elle. Mon ombre recouvrit la sienne. — Je ne pardonne qu’une seule fois. Et il vient de la consommer. J’ouvris enfin l’enveloppe. Une série de photos. L’une d’elles, parfaitement nette, figea mon souffle. Noam. Dans la rue. Costard gris, mains dans les poches, l’air d’un homme qui possède le monde. Mais c’est ce regard… ce regard qui déchire. Le même qu’à l’époque. Comme s’il pouvait me voir. Pas Raven. Moi. Thalia. Je pliai la photo et la glissai dans ma poche intérieure. À l’endroit exact où battait mon cœur. Ou ce qu’il en restait. — Tu penses qu’il veut te détruire ? demanda Sienna, toujours droite comme une lame. Je souris. Lentement. — Je pense qu’il veut comprendre. Ce qui me rend encore plus dangereuse pour lui. Il n’a aucune idée de ce que ça coûte de me connaître. Je tournai la tête vers la baie vitrée. La ville s’étalait à mes pieds, inconsciente du monstre qu’elle avait vu naître. Je posai ma main contre la vitre, comme pour y graver une promesse. — Et s’il s’approche trop… je ne le briserai pas tout de suite. Je le laisserai regarder, comprendre, presque toucher. Puis je l’écraserai. Comme un insecte qui a volé trop près de la lumière.
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