Un Amour Inattendu

Scrutant l’immense immeuble de verres et d’aciers en face d’elle, les yeux levés, Daisy se mordillait la lèvre inférieure, en lisant les lettres romaines inscrites au-dessus des portes de verres : LOCKWOOD ENTREPRISE. - Allez du courage ! Se dit-elle pour la centième fois.            Elle s’était répété mentalement une centaine de fois le déroulement de cette entrevue. Ce qu’elle allait faire et dire et elle était prêtre. Ou du moins un tout petit peu, mais ce n’était plus le moment d’hésiter ou encore moins de se désister. Elle l’avait fait pendant dix ans et c’était bien plus que suffisant. Alors, un peu de courage. Elle allait entrer dans l’immeuble, demander à voir Jed en privé et lui dire ce qu’elle était venue lui dire. Ce qu’elle aurait dû lui dire il y a de nombreuses années maintenant.            Une sourde peur s’empara d’elle alors qu’elle passa les doubles portes de verres et arrivait dans le grand hall de marbres reluisant. Avec des pas peu assurés, elle se dirigea droit à la réception et demanda à la réception après l’un des dirigeants de Lockwood entreprise. - Avez-vous rendez-vous avec M. Lockwood ? Lui demanda la secrétaire d’un air soupçonneux, presque dédaigneux même. N’avait-elle jamais vu de femme afro-américaine de sa vie où quoi ? À moins que ce soit ses vêtements. C’est vrai qu’avec son vieux jean et son chemisier à pois noirs et rouges, elle détonnait dans un décor aussi luxueux.            Secouant la tête, elle répondit par la négative. - Non mais je dois vraiment lui parler. C’est assez urgent. Il acceptera de me rencontrer lorsqu’il saura qui je suis.            En fait, elle l’espérait. Réussir à prendre contact avec lui avait été difficile. Pas de numéro où le joindre trouvable et elle n’avait eu d’autre choix que de venir ici en personne. Mais, elle avit un peu oublié que Jed était un homme très important. Et, s’il refusait de le voir ? Eh bien, elle camperait ici ! Elle ne quitterait pas l’endroit sans lui avoir parlé.            Daisy scruta la réceptionniste, qui avait petit sourire en coin, en levant un sourcil et elle crut l’entendre murmurer quelque chose. - M. Jed Lockwood est en réunion, dit-elle en relevant la tête de son ordinateur. Voulez-vous lui laissez un message ? - Non, je vais attendre. - La réunion pourrait prendre la journée, mademoiselle. - Eh bien, j’attendrai ! Dit-elle en regardant la réceptionniste, droit dans yeux. S’il termine veuillez lui dire que Daisy Brown désire lui parler, puis elle se dirigea vers un des sièges installé dans le hall.            Une fois assise, elle put inspirer à plein poumon. Le premier pas était fait. Tournant la tête sur le côté, elle scruta l’une des rues de la ville de Portland à travers les vitres et esquissa un maigre sourire. C’était étrange comme le temps avait filé. Dix ans. Dix longues années s’étaient écoulées depuis qu’elle avait quitté la ville et ce juste après avoir obtenue son diplôme de fin d’études du lycée. En y repensant, elle avait encore l’impression que c’était hier. Elle avait tout quitté pour se rendre à Los Angeles afin de devenir actrice. Quelle stupide jeune idiote elle était ! Une gamine pleine de rêves qui avait dû redescendre sur terre à peine arriver dans la ville des lumières. Et pour cause, la raison qui l’amenait justement ici après toutes ses années. Son fils.            Elle était installée depuis à peine un mois à Los Angeles lorsqu’elle avait appris qu’elle attendait un bébé.            Ce fut une nouvelle des plus inopportunes et cela n’était rien de le dire. Cette nouvelle l’avait complètement chamboulée. Elle qui avait pour but d’entrer dans une école d’art dramatique et tout faire afin de devenir actrice et ainsi réaliser son rêve se retrouvait enceinte, d’un garçon avec lequel elle était sortie à peine quelques semaines, rien de bien sérieux, et qui devait être à l’autre bout du pays ou du monde. Elle avait commis une erreur stupide en sortant avec ce jeune homme et n’avait pas été assez prudente. Mais, elle avait décidé d’assumer. Pas question pour elle d’avorter ou de faire adopter. Les débuts furent difficiles au point que parfois elle regretta son entêtement d’avoir gardé son fils, mais elle avait tenu. Elle avait dû mettre au placard son rêve de devenir actrice, trouvé un bon travail et élevé son fils seule, sans l’aide de personne. Et, pas une fois, elle n’a regretté son choix. Les années passants, elle s’en est voulue de n’avoir rien dire au père de son fils. Elle aurait dû tenter d’entrer au moins en contact avec lui et tout lui raconter, mais elle n’avait rien fait. Rien. Par peur. Par égoïsme. Qui sait ! Soupirant, elle reporta son attention à l’intérieur et scruta le cadre luxueux du hall et les gens qui passaient, habillés de tenues très classe.            Jed Lockwood, son histoire d’été et le père de son fils, l’un des fils de l’une des plus vieilles familles et sans doute la plus riche de la ville et même de l’Oregon si cela se trouvait. Elle l’avait connu pendant son dernier été ici. Un été qu’elle avait voulu mémorable avant son changement catégorique de vie. Lui était venu passer ses vacances dans l’immense demeure familiale, car il faisait ses études à Harvard, rien que ça. Ils s’étaient rencontrés au cours d’une fête au bord de la mer. Il était beau, grand, blond avec des yeux bleus et riche comme crésus. Ils avaient dansé ensemble, flirté. Il avait tout de suite cherché à la séduire et elle ne l’avait pas repoussé. Ils se revirent quelques fois et une courte relation naquît. Rien de sérieux, tous deux le savait, juste un flirt d’été comme on disait. Ce fut de belles semaines passées en sa compagnie et puis il était reparti et à son tour et elle avait quitté la ville.            Mais aujourd’hui, elle était de retour dans sa ville et elle était bien décidée à avouer la vérité à Jed Lockwood. Elle avait appris par internet et les journaux qu’il travaillait depuis quelques années avec ses frères dont l’aîné dirigeait leur entreprise depuis la retraite de leur père.            Daisy savait que lui dire toute la vérité comportait des risques plus que le simple fait que Jed soit bouleversé par cette nouvelle et son nouveau statut de père mais elle était fin prête. Elle avait vu des avocats, s’était renseignée et elle savait comment s’en sortir. Elle avait bien tenté de repousser à plus tard la confrontation mais elle ne pouvait plus le faire. Ou devrait-elle dire, elle n’avait plus de prétexte pour le repousser. Grâce au prêt accorder par sa banque, leur nouvelle maison était complètement aménagée et elle avait pu ouvrir sans encombre sa librairie-salon de thé, avait trouvé une école à Lukas, elle ne pouvait donc remettre encore à plus tard cette confrontation.            Elle n’avait jamais menti à son fils. Elle lui avait toujours dire la vérité. Que son père ne savait rien de son existence. Au début, il l’avait boudé puis avait plus ou moins compris. Elle espérait juste que Jed comprendrait et ne lui en voudrait pas - pas trop - de lui avoir caché Lukas toutes ses années.            Elle eut une grimace. Il était temps pour elle de tenir la promesse qu’elle avait faite à son fils, l’an dernier. Il lui avait extorqué la promesse à Noël de connaître son père et elle ne pouvait en aucun cas revenir sur sa parole. En plus, il avait besoin d’une image paternel. Il grandissait et bientôt se serait l’adolescence et elle savait que cette période de la vie chez un jeune n’était pas facile. Elle le savait bien pour avoir fait à cette période de sa vie les quatre cents coups. Elle eut un sourire à ses souvenirs. Elle ferrait tout pour son fils, même être prête à se confronter à l’une des plus puissantes familles de ce pays pour lui. Il était son miracle, sa joie, sa vie.            Poussant un soupir, elle chercha dans son sac à main la photo de l’enfant qu’elle avait apporté avec elle. Le garçonnet était vraiment le plus beau petit garçon du monde avec son teint légèrement basané, ses cheveux bruns magnifiquement ondulés - état que lui envieraient toutes fans de permanente - et ses yeux bleus piquetés de minuscules taches vertes. Elle eut un grand sourire. Comme elle l’aimait son fils. Quand on les voyait ensemble, les gens avaient du mal à s’imaginer qu’ils étaient mère et fils, mais comme aimait dit sa grand-mère les lois de la génétique sont parfois incompréhensibles. Elle était bien placée pour le savoir. En ce moment, il se trouvait à l’école. Sans doute en train de faire tourner en bourrique ses professeurs. Il était d’une intelligence peu commune même s’il ne pouvait pas être qualifiée de surdoué à proprement dit et elle allait devoir comme le lui avait recommandé ses professeurs agir en conséquence. Pour le moment, elle voulait juste qu’il profite d’une vie d’un garçon de son âge. Avec un soupir, elle eut un sourire en pensant à Mary, sa première employée dans sa libraire-salon de thé et qui lui servait parfois de baby-sitter. C’était une vieille afro-américaine d’une cinquante d’année qui se trouvait être sa voisine. Veuve depuis des années, elle se sentait seule depuis le départ de ses enfants de la maison. Elle l’avait donc engagé pour l’aider et aussi parce qu’elle était une très bonne pâtissière. En plus, elle adorait Lukas et lui aussi d’ailleurs. Même s’il la battait très souvent aux échecs.            Relevant la tête, elle scruta sa montre. Déjà plus de 11h05. Combien de temps allait encore durer cette réunion ? Elle n’en savait rien. Mais peu importe le temps que celle-ci durerait, elle allait attendre. Toute la journée s’il fallait.