Mourad ne bougea pas tout de suite. Il resta là, quelques secondes. Puis, il tourna les talons et sortit, refermant la porte derrière lui sans bruit.
Zaynab ferma les yeux.
Et cette fois, elle sentit les larmes monter. Mais elles ne coulèrent pas.
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Le lendemain matin, le calme apparent de la villa cachait une effervescence grandissante. C'était le jour décisif. Celui de l’élection de l’Élue.
Un jour que toutes les prétendantes attendaient. Un jour que leurs familles redoutaient autant qu’elles l’espéraient. Une seule serait choisie. Une seule deviendrait l’épouse officielle de Mourad Yacine Al Fayed, héritier d’un empire et chef de l’illustre lignée des Al Fayed, branche directe des Al Dhurani.
Dans les couloirs, le personnel s’activait discrètement, les regards baissés, les gestes rapides mais ordonnés.
Ce matin-là, les tantes paternelles et maternelles de Mourad arrivèrent très tôt, vêtues avec élégance, leurs tenues traditionnelles rehaussées de bijoux fins. Ce sont elles qui allaient gérer les dernières préparations et encadrer les prétendantes. Leur parole faisait foi. Leur jugement était implacable.
Les sages des Al Dhurani étaient là aussi. Des hommes d’un certain âge, au port digne, choisis pour leur sagesse, leur droiture et leur loyauté à la lignée. Certains oncles de Mourad avaient également fait le déplacement, observateurs silencieux mais essentiels. Leur rôle n'était pas de choisir, mais de valider.
Dans la maison, un parfum d’encens flottait dans l’air, signe de purification et de bénédiction.
Mourad, lui, était dans une pièce à part. Seul. L’expression fermée, le regard perdu dans les grandes baies vitrées de son salon privé. Il portait une kandura blanche parfaitement repassée, et son keffieh sombre était posé sur une table, à côté de son téléphone verrouillé.
Une décision l’attendait. Et elle allait bouleverser des vies.
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Dubai
11h45
Le grand salon plongé dans une pénombre feutrée, un silence lourd régnait. Seuls quelques membres triés sur le volet étaient présents : Mourad, Bella Dior, les matriarches et deux des plus anciens sages de la lignée. Aucun invité. Aucune famille de prétendantes. Le choix se ferait dans l’ombre, loin des regards.
Les quatre jeunes femmes étaient assises dans une pièce attenante. Voilées de blanc, couvertes de la tête aux pieds, sans la moindre distinction visible. Aucun détail ne trahissait leur identité. Elles étaient anonymes. Égales. Figées dans l’attente.
Chacune occupait un fauteuil individuel, espacées, sans échange possible. L’atmosphère était tendue, l’air presque irrespirable.
Mourad entra seul. D’un geste ferme, il demanda qu’on retire le voile des prétendantes.
Une à une, elles dévoilèrent leur visage.
Jennah esquissa un sourire discret, confiante. Lina portait un parfum capiteux, calculé, qu’elle espérait irrésistible. Zaynab, le regard fuyant, priait intérieurement qu’il ne la choisisse pas. Khoudia, elle, restait calme, posée, presque absente.
Il les regarda longuement, sans dire un mot. Puis leur ordonna de remettre le voile.
Il quitta la pièce.
Dans le grand salon, il s’approcha lentement de la table centrale et glissa un bijou une bague en or blanc dans une petite boîte de bois laqué. Il y ajouta un papier plié, sur lequel figurait un seul prénom.
Bella Dior s’avança pour récupérer la boîte. Lorsqu’elle lut le nom à l’intérieur, son regard changea. Elle resta figée une seconde. Elle avait un doute… mais elle ne pensait pas que son frère irait jusqu’au bout.
Sans un mot, elle apporta la boîte à Mara Al Dhurani.
La matriarche la reçut sans surprise. Ses doigts, fins mais puissants, refermèrent le couvercle. Elle ne semblait pas étonnée. Elle connaissait son fils. Elle connaissait son cœur.
Accompagnée de deux de ses tantes, Bella Dior retourna auprès des prétendantes.
— e*****z vos voiles, leur dit doucement l’une des femmes.
Les quatre obéirent.
Bella Dior observa chacune.
— Remettez votre voile, annonça la tante.
Toutes obéirent à nouveau.
Alors, en silence, Bella Dior s’arrêta devant l’une d’elles. Elle s’approcha, s’immobilisa, et la désigna du regard.
Bella Dior guida l’élue vers une aile opposée de la villa. Sans un mot. Sans un regard vers les autres.
Aucune annonce ne fut faite. Aucun prénom prononcé. La cérémonie du choix venait d’avoir lieu. Elle resterait secrète.
•••
Le soir venu.
Le jardin de la maison des Al Fayed s’était métamorphosé. Des guirlandes de lumière suspendues entre les palmiers, des tapis tissés aux motifs anciens déroulés sous les pas, et de grandes tentures couleur ivoire flottaient doucement dans la brise tiède. Ce soir, aurait lieu le mariage traditionnel — au sens moderne, mais profondément ancré dans les codes ancestraux des Al Dhurani.
Les familles des prétendantes arrivèrent les unes après les autres, vêtues de leurs tenues les plus précieuses. Les mères affichaient des sourires tendus, les pères paraissaient absorbés, les sœurs et les cousines dégageaient un mélange de grâce, d’orgueil et de nervosité. L’atmosphère était feutrée, solennelle. L’élégance masquait la tension. On ne savait rien. Et tout le monde voulait savoir.
Pendant ce temps, dans une aile intérieure de la maison, les tantes de la famille Al Fayed préparaient l’élue.
Elle avait reçu un bain parfumé aux essences rares, un massage aux huiles d’ambre et de rose, et elle portait désormais une robe nouvelle, taillée sur mesure, accompagnée d’un voile opaque tombant jusqu’à la taille. Nul ne pouvait deviner son identité.
Elle était prête.
Dans un autre salon, les trois prétendantes non choisies attendaient en silence, chacune repliée sur ses pensées. Une tante de Mourad, au ton doux mais ferme, tentait de les réconforter, leur soufflant des mots de sagesse et d’orgueil : « Vous n’avez pas perdu. Vous avez été honorées d’avoir été vues. »
Puis, les chants traditionnels commencèrent à résonner dans le jardin cérémoniel. Des voix de femmes, graves et profondes, aux accents anciens. L’assistance entière s’était levée, les regards orientés vers l’entrée.
L’élue apparut, escortée par les femmes de la lignée, ses pas lents, mesurés, guidés par l’émotion et le silence sacré.
Mourad entra à son tour.
Il portait une cape noire bordée d’or, un sabre ornemental de la lignée à la ceinture, et à sa main droite brillait la bague du patriarche : celle transmise de génération en génération.
Il s’arrêta face à elle.
Siham, la tante paternelle, s’approcha et prit délicatement leurs mains qu’elle unit. Un ruban brodé aux couleurs de la lignée Al Dhurani les entoura, les liant symboliquement devant les leurs.
Puis, le plus ancien des sages se leva.
Sa voix, rocailleuse et solennelle, fendit le silence :
— Elle est choisie. Elle est acceptée. Elle est transmise.
Le ruban fut retiré. L’union était scellée.
Aucune acclamation. Aucun applaudissement.
Mais dans chaque regard présent, brillait le poids de l’instant.
•••
Après la cérémonie, l’élue fut discrètement conduite par les femmes de la lignée vers une chambre spécialement préparée selon les coutumes ancestrales. Elle marchait lentement, toujours voilée, protégée des regards, dans le silence solennel des femmes qui l’escortaient.
La chambre nuptiale était un écrin d’intimité : un lit drapé de soie ivoire, des encens délicats brûlant dans des coupelles de cuivre, une lumière douce filtrée à travers des lanternes ciselées. Aucun mot, aucun bruit. Juste la respiration sacrée du moment.
Pendant ce temps, les familles des prétendantes quittèrent la maison une à une, dans la même retenue silencieuse. Elles sauraient au matin qui avait été choisie. Mais cette nuit-là, nul ne devait rompre le secret.
Assise au bord du lit, l’élue attendait. À ses côtés, l’une des tantes de Mourad lui murmurait les conseils transmis de génération en génération. Ce qu’elle devait faire. Ce qu’elle devait éviter. L’importance de ce premier instant, les conséquences de chaque geste, de chaque regard. Rien ne devait troubler l’équilibre de cette nuit.
Puis, la tante se leva, ajusta le voile de la jeune femme, et sortit de la pièce.
La porte fut refermée. Désormais, plus personne ne devait franchir ce seuil.
Tard dans la nuit, il entra.
Seul.
Vêtu simplement, sans faste, mais avec la présence digne d’un homme qui portait le poids de son nom et l’intensité de ses choix.
La chambre était baignée d’une lumière chaude, les senteurs d’ambre et de musc flottaient dans l’air. Elle s’était aussitôt redressée sur le lit, le voile encore posé sur sa tête. Droite. Silencieuse. Prête, mais habitée par une tension que seul lui pouvait deviner.
Il referma la porte. Marcha lentement jusqu’à elle. Puis s’arrêta à une distance respectueuse.
— Puis-je m’asseoir ? demanda-t-il d’une voix calme.
Elle hocha la tête.
Il s’assit, la contempla un instant sans rien dire, puis leva lentement les mains et retira son voile.
Leurs regards se croisèrent. Ce fut là, et seulement là, qu’il la vit vraiment. Non pas comme une prétendante, mais comme sa femme. Celle qu’il avait choisie.
A suivre