Le cœur léger, elle porta une main à ses lèvres, comme pour y conserver l'empreinte de Mourad. Elle se sentait spéciale. Privilégiée. Il n'y avait aucun doute dans son esprit : elle serait choisie.
Elle connaissait Mourad maintenant. Elle avait su l'approcher au bon moment, avec les bons mots. Elle savait ce qu'il aimait voir, ce qu'il voulait entendre. Et elle n'avait rien forcé. Elle avait juste été elle-même... avec un soupçon d'audace.
La nuit était avancée, mais Khoudia ne ressentait aucune fatigue. Juste une joie intense. Elle se glissa sous ses draps avec le sourire de celle qui sent la victoire approcher.
Le lendemain matin, après le petit déjeuner, la maison Al Fayed retrouva son agitation. Une ambiance solennelle et électrique régnait dans les couloirs parfumés à l'encens. Comme la veille, les familles des prétendantes affluèrent de nouveau. Chacune venue soutenir la sienne, espérant qu'elle soit celle que la famille Al Fayed élèverait au rang d'épouse.
Les domestiques s'affairaient, des thés précieux circulaient sur des plateaux d'argent, et l'on devinait dans les chuchotements l'importance de ce qui allait se jouer.
Dans le grand salon principal, les femmes influentes de la lignée Al Dhurani avaient pris place. Les tantes maternelles, les sœurs de Mourad, sa mère, Mara, au centre dans son élégante abaya brodée d'or, et les sages de la famille, celles qui, depuis des générations, veillaient aux alliances, aux unions, et aux réputations.
Assis sur son fauteuil au fond de la pièce, Mourad observait en silence. Son regard était dur, concentré. Il n'avait laissé transparaître aucune préférence jusqu'ici, malgré les soupçons, les murmures, et les gestes échappés. Il savait que cette décision allait sceller bien plus qu'un destin sentimental elle allait toucher l'image même de la famille Al Fayed.
Les prétendantes firent leur entrée, et l’assemblée retint son souffle. Tous les regards se tournèrent vers elles.
Elles avançaient d’un même pas, synchrones et gracieux, drapées dans de longues robes ivoire, cintrées à la taille par une fine ceinture d’or brodé. Le tissu noble et fluide effleurait le sol à chacun de leurs pas, telle une mer de soie ondulant sous les éclats tamisés des lustres. Le décolleté en V, subtilement orné de broderies dorées d’une finesse remarquable, mettait en valeur leur port de tête, tandis que les manches longues et aériennes ajoutaient une touche de grâce presque éthérée.
Khoudia, parée d’un hijab en mousseline blanche, irradiait de sérénité. Son voile, léger comme l’aube, retombait doucement sur ses épaules. À ses côtés, les autres jeunes femmes, coiffées de voiles diaphanes, laissaient deviner des chevelures élégamment ondulées, soulignant la finesse de leurs traits.
Elles n’étaient pas simplement parées de tissus raffinés elles incarnaient la noblesse, la pudeur et la promesse d’un avenir majestueux.
Elles n’étaient pas simplement vêtues. Elles incarnaient la splendeur, la retenue et la promesse de royaumes encore à naître.
Elles prirent place sur le grand canapé, alignées comme des perles précieuses. Mourad les observait en silence, son regard passant de l’une à l’autre. Elles étaient toutes magnifiques, chacune à sa manière. Mais dans les yeux de sa mère, une seule brillait réellement : Khoudia. Son éclat était saisissant, sa beauté, apaisante.
— Aujourd’hui, Mourad s’exprimera sur chacune de ses prétendantes. Ce sont ses impressions qui guideront le choix final. Demain, l’élue sera annoncée, et la cérémonie se tiendra dans la foulée.
Un frisson d’anticipation traversa la pièce. Tous savaient que les prochaines paroles de Mourad changeraient un destin.
Mourad se leva enfin. Le silence dans le salon devint presque solennel. Tous les regards se tournèrent vers lui, suspendus à ses lèvres.
— Je vais commencer par celle qui, selon moi, s’est démarquée… celle dont l’attitude a suscité en moi autant de réflexion que d’étonnement : Khoudia.
Un frémissement parcourut la salle. Khoudia baissa légèrement les yeux, le cœur battant.
— Lors de notre dîner, dit-il en la regardant brièvement, elle s’est tenue avec une pudeur remarquable. Sa manière de s’exprimer, son regard posé, son apparence toujours sobre et élégante… Elle incarne un mélange rare de réserve et d’intelligence émotionnelle. Elle sait se faire entendre sans hausser la voix. C’est une femme qui mérite d’être connue, au-delà des apparences.
Un instant de silence suivit. Tous attendaient des applaudissements, un éclat de voix… et ils vinrent, timides au départ, puis plus assurés. Mara, la mère de Mourad, rayonnait de fierté. Elle ne pouvait cacher son bonheur. Pour elle, le choix était déjà fait.
Jennah et Lina, assises l’une à côté de l’autre, forçèrent un sourire. Derrière leur expression figée se cachaient l’agacement, la tension. Zaynab, elle, croisa les bras sans rien dire. Sa mère, installée un peu plus loin, lui lançait de discrets signes pour qu’elle fasse bonne figure. Mais Zaynab refusait de jouer le jeu. Elle n’était pas venue ici pour feindre.
Puis, Mourad reprit la parole, son ton neutre mais plus réservé.
— Jennah.
Jennah se redressa légèrement, l’estomac noué. Depuis la veille, elle savait que ses chances s’étaient étiolées.
— Jennah est une femme vive, affirmée, et dotée d’une présence incontestable. Elle sait se mettre en valeur, elle connaît son impact, et ne doute jamais d’elle-même. Lors de notre voyage, elle a su me faire rire, captiver mon attention par ses anecdotes, et elle possède une certaine maturité.
Il fixa un instant le vide, avant de poursuivre, plus posé :
— Mais son besoin d’être au centre peut parfois devenir un bruit. Elle parle souvent avant de réfléchir. Elle veut séduire, convaincre… parfois trop. Ce n’est pas une faiblesse, mais une énergie qu’il faudrait mieux canaliser.
Jennah se raidit, le regard vide. Elle savait que cette analyse-là scellait déjà son sort. Elle savait que tout était dit. Elle ne fit même pas semblant d’être touchée. À quoi bon ? Le regard de Mourad la contournait déjà. Et elle avait compris : il penchait vers une autre. Vers Khoudia. Et le pire, c’était que même sa famille semblait s’y être résignée.
Mourad posa calmement son regard sur Lina. Son maintien était digne, presque impérial, mais son regard brillait d’une tension qu’elle tentait de dissimuler. Il parla d’un ton posé, presque neutre :
— Lina est une femme qui sait se présenter. Lors du séjour, elle a su montrer un certain sens du détail. Dans la maison, elle a pris des initiatives. Elle cuisine bien.
Il s’approcha de quelques pas du centre de la pièce, la voix un peu plus grave :
— Mais… cette précision peut aussi être tranchante. Lina est capable de tout pour atteindre son objectif. Même de franchir des limites discrètes, invisibles aux yeux de beaucoup, mais pas aux miens.
Lina baissa imperceptiblement les yeux. Elle savait exactement à quoi il faisait référence.
— Et il y a des choses que l’on peut accepter… et d’autres, non. J’ai observé, j’ai ressenti. Et parfois, dans la volonté d’obtenir ce que l’on veut à tout prix, on finit par perdre ce qui compte vraiment.
Un murmure léger parcourut la pièce, comme un frisson discret. Les femmes de la famille échangèrent quelques regards, certaines acquiesçant silencieusement. Lina, elle, restait figée, le sourire figé, mais son souffle s’était coupé une demi-seconde.
Les mots flottèrent, lourds de sous-entendus. Lina pâlit légèrement. Elle savait. Lui aussi. Et tout le monde dans la pièce, bien que dans l’ignorance du détail, comprit qu’un seuil avait été franchi.
- C’est à ce moment-là que j’ai compris que tu n’étais peut-être pas celle que je croyais.. Il ne s’agit pas de l’erreur… mais de l’intention derrière.
Un léger frisson parcourut l’assemblée. La mère de Mourad détourna les yeux, gênée. La tante soupira. Jennah jeta un regard discret à Lina, comme pour confirmer ce qu’elle pensait depuis le début.
Lina, elle, ne réagit pas. Elle ne bougea pas. Car elle savait. À cet instant, il n’y avait plus d’issue. Elle venait d’être écartée, sans que cela ne soit jamais dit clairement. Mais le message, lui, était limpide.
Ce fut enfin le tour de Zaynab. La cadette au tempérament incandescent. Dès que son nom fut prononcé, elle leva les yeux au ciel et fit une grimace. L’assemblée fut figée par la surprise. Quelques murmures s’élevèrent, et sa mère, embarrassée, tenta discrètement de lui faire signe de sourire, en vain.
Mourad, impassible, planta son regard dans le sien et dit d’un ton calme :
– Zaynab aime le luxe. Elle aime ce qui brille, ce qui est rare, ce qui se voit. Mais contrairement à ce que beaucoup pensent, ce n’est pas forcément un défaut. Ce type de femme, quand elle est bien encadrée, pousse un homme à se dépasser, à travailler davantage. Et ça, c’est une qualité à mes yeux.
A suivre